Extrait de

 

« Essai historique, archéologique sur l'arrondissement de Pont-Audemer »

chez Lance, libraire, Paris, 1834

tome 2

 

par Alfred Canel

 

(texte présenté sous forme « moderne »)

 

Commune de Montfort sur Risle

 

La voie antique de Lillebonne à Lisieux et Évreux, passait sur le territoire de Montfort (1). Il y a quelque probabilité que des habitations se groupèrent de bonne heure le long de ce chemin. A quelque distance au-delà de l'église et des dernières maisons agglomérées du bourg, du côté de Glos, on a trouvé, dans une cour, de nombreuses fondations qui ont résisté aux efforts des ouvriers chargés de les détruire. Je ne puis croire que des maçonneries si solides aient appartenu à de simples maisons du Moyen Age, et, quoique les fouilles n'aient, à ma connaissance, amené aucune découverte caractéristique, je suis porté à leur assigner une origine romaine.

 

Sous la période normande, Montfort avait acquis de grands développements : c'était une ville défendue par une forteresse redoutable. Sans doute il devait beaucoup aux hommes du Nord ; mais son importance a dû précéder leur établissement dans la Neustrie. En effet, dans la Chronique du Bec, Montfort est désigné par les mots « vetus castrum », vieille forteresse, vieux retranchement. P. d'Hozier, généalogiste de la famille de Guiry, dit que, « sous le règne de Louis le Bègue, c'est-à-dire de 877 à 879, Louis de Guiry, grand chambellan du roi, avait été chargé, dans une expédition contre les Normands, de commander plusieurs seigneurs du Vexin. Pendant que son frère Christophe de Guiry, à la tête des archers, tombait sur le champ de bataille, Louis de Guiry fut fait prisonnier et conduit au château de Montfort sur Risle » (2). Nous n'invoquerons pas ce fait, évidemment controuvé, pour justifier l'origine franque du château de Montfort (3). Je ne sais si l'on ne pourrait pas hasarder l'hypothèse que la forteresse primitive occupa l'emplacement appelé Vieux Montfort, à Appeville-Annebaut. Dans tous les cas, le château dont nous voyons les ruines fut construit ou achevé par Hugues III de Montfort, qui vivait au commencement du douzième siècle (4).

 

Le premier possesseur connu de ce domaine fut Toustain ou Turstin de Bastembourg. Il était fils d'Anslech ou Hanlet, régent du duché avec Bernard le Danois. Peut-être reçut-il Montfort de son père. Plusieurs écrivains ont avancé qu'il le tenait de sa femme Auberée (5). Toustain, dont la sœur Durande avait épousé Turketil, frère de Turouf de Pont-Audemer, laissa plusieurs enfants : Hugues à la Barbe, seigneur de Montfort ; Guillaume Bertrand, tige des seigneurs de Briquebec ; Bobert Bertrand, dit le Tort, fondateur du prieuré de Beaumont en Auge ; Gisle, femme de Giroie, seigneur de Montreuil et d'Echaufour ; et Guillaume, troisième abbé du Bec (6).

 

Hugues à la Barbe prit une part active dans les troubles qui désolèrent la Normandie, après la mort du duc Robert, arrivée en 1035. Au milieu des sanglants désordres de cette époque, la guerre s'éleva entre lui et Walkelin [ou Vauquelin] de Ferrières. En vain les plus hauts personnages tentèrent de s'interposer entre ces deux chevaliers également braves et puissants : ils en vinrent aux mains. Le combat fut si acharné, que tous les deux restèrent sans vie sur le champ de bataille, avec beaucoup de leurs amis (7).

 

L'aleu de Montfort, que l'on appelait indistinctement l'honneur ou le comté de Montfort, passa alors dans les mains de Hugues II, fils de Hugues à la Barbe. Ce seigneur, héritier de la bravoure de son père, fournit au duc Guillaume, pour l'expédition d'Angleterre, 50 navires et 69 hommes d'armes, et assista à la bataille d'Hastings, où il combattit avec intrépidité. Aussi, après la conquête, reçut-il de la munificence royale 114 manoirs dispersés dans divers comtés. Il fut l'un des seigneurs auxquels Guillaume confia l'Angleterre, à son départ pour la Normandie, en 1067. Il était spécialement chargé, avec Odon, évêque de Bayeux, de la défense de Douvres. Sur la fin de ses jours, Hugues II embrassa la vie religieuse dans l'abbaye du Bec, où il mourut (8). De son premier mariage avec une fille de Richard de Beaufou, était née une fille qui épousa Gislebert de Gand ; et, d'une deuxième femme, il avait eu Hugues III et Robert de Montfort.

 

Hugues III, comte de Montfort, a peu occupé les chroniques. Tout ce que nous savons de lui, c'est qu'il entreprit un voyage en Terre Sainte, et qu'il y mourut.

 

La vie de Robert paraît avoir été plus remplie d'événements. En 1098, il commandait, dans le Maine, l'armée de Guillaume le Roux. Celui-ci, au moment de la conclusion de la paix, lui ordonna de prendre possession de la tour du Mans, avec quelques autres forteresses, et mit sous ses ordres 700 hommes d'élite, couverts de cuirasses, de casques et d'une armure complète.

 

Dans l'automne de 1106, Robert de Montfort tenait le parti d'Henri Ier contre le duc Robert ; mais il paraît qu'il abandonna bientôt le roi d'Angleterre, car, l'année suivante, ce prince l'appela en jugement devant ses grands vassaux, comme ayant violé sa foi.

 

Pour se soustraire au danger qui le menaçait, Robert abandonna toutes ses terres au roi, sollicita la faculté d'aller à Jérusalem, et partit avec quelques compagnons. Il trouva Boëmond dans la Pouille, et y reconnut avec joie plusieurs de ses compatriotes. Boëmond, qui rassemblait à ses frais un grand nombre de troupes pour combattre l'empereur, l'accueillit avec les plus grands honneurs, et, ne sachant pour quelle cause il avait quitté sa patrie, le plaça dans un poste élevé, parce qu'il avait été maréchal héréditaire de Normandie. Mais, au siège de Durazzo, ce comte, gagné par l'empereur, compromit par ses manœuvres la réussite de l'opération, et l'armée fut dispersée. Robert ne jouit pas longtemps des fruits de sa trahison, et, comme Hugues, son frère aîné, il mourut avant de revoir la Normandie (9).

 

Comme Hugues et Robert n'avaient point laissé d'enfants, leurs domaines échurent à Gislebert de Gand, dont le fils Hugues reprit le nom de Montfort. Celui-ci, en 1112, par l'entremise d'Henry Ier, épousa Adeline, fille de Robert de Meulan, sire de Pont-Audemer, puis, en 1122, entra dans la ligue de ses beaux-frères contre son protecteur. On a vu ce qui en arriva (10) : le roi d'Angleterre brûla la ville de Montfort, et, avant un mois de siège, s'empara de la tour du château, qui seule avait résisté, confisqua les biens de son vassal et le retint quatorze ans dans les fers. J'ai dit aussi que Waleran de Meulan, à la mort d'Henri Ier, occupa le château de Montfort, dont la possession lui fut assurée, en 1141, par Geoffroi comte d'Anjou.

 

Hugues IV, en recouvrant la liberté, était rentré dans une partie de ses biens. Instruit par ses malheurs passés, il ne paraît pas avoir appelé ses vassaux à de nouveaux combats. Il n'est plus cité que pour des libéralités envers les religieux. En 1147, en présence de ses barons, et du consentement de sa femme et de ses fils Robert et Waleran, il donna à l'abbaye du Bec l'église de Saint Himer avec toutes ses dépendances et les revenus de ses prébendes, à la charge d'y établir des chanoines (11).

 

Robert, fils aîné de Hugues IV, voyait avec peine la ville et forteresse de Montfort au pouvoir de son oncle Waleran : il résolut de les lui arracher par la force des armes. Dans une entrevue qui eut lieu entre eux, auprès de Bernay, en 1153, il fit Waleran prisonnier, et le retint dans la forteresse d'Orbec, jusqu'à ce qu'il lui eût arraché un consentement de restitution. L'année suivante, le sire de Pont-Audemer voulut essayer de se remettre en possession de Montfort; mais il fut mis en fuite par son neveu, qui jouit enfin paisiblement du comté de ses pères.

 

En 1173, nous retrouvons encore Robert de Montfort parmi les seigneurs qui passèrent à la cour du roi de France, avec le prince Henri, révolté contre son père Henri II, roi d'Angleterre.

 

Jean sans Terre, qui savait mieux voyager que combattre, était à Montfort le 29 octobre et le 7 décembre 1201 ; les 12 et 13 mars, le 1er avril et le 18 octobre 1302 ; les 8, 9, 25 et 26 avril, les 20, 21, 23, 24, 25, 28, 29 et 30 juillet, les 27 et 28 août, les 1er et 2 octobre 1203. Ces voyages se rattachaient sans doute au projet de détruire la forteresse : Guillaume le Breton (12) nous apprend, en effet, qu'il la ruina, avec celles de Moulineaux et de Pont de l'Arche.

 

Des documents de cette époque mentionnent un Hugues et un Guillaume de Montfort, probablement fils de Robert (13). Comme le sire de Pont-Audemer, ils restèrent attachés à la cause anglo-normande ; aussi furent-ils également punis par Philippe Auguste, qui confisqua le comté de Montfort (14). Cette famille, dépouillée de ses domaines en Normandie, continua de figurer en Angleterre jusqu'en 1367, époque où leurs propriétés furent partagées entre les héritiers de Pierre deMontfort, dernier baron de ce nom (15).

 

Les comtes particuliers de Montfort avaient un vicomte qui exerçait sa juridiction au chef-lieu de leur seigneurie. Le cartulaire de Préaux nous apprend qu'au commencement du règne de Guillaume le Conquérant, cette fonction était remplie par Guillaume, seigneur de Câtelon. La réunion du comté de Montfort au domaine de la couronne paraît avoir amené la suppression de la vicomté. Elle n'existait plus en 1340, car Philippe de Valois, en donnant à Pierre de Lyons la sergenterie de Montfort (16), dit qu'elle était assise, partie en la vicomté du Pont-Autou, partie en celle du Pont-Audemer. Toutefois, elle fut rétablie plu» tard, puis définitivement supprimée par édit du mois de décembre 1741.

 

On a vu (tome Ier, page 85) que le roi Jean avait abandonné, en 1353, la vicomté de Pont-Audemer à Charles le Mauvais. Sous la domination de ce prince, Montfort, qui faisait partie des domaines concédés, fut sans doute dévasté plus d'une fois, mais surtout en 1357, par les Navarrais, qui, de Pont-Audemer, avaient poussé jusqu'à Glos. L'occupation anglaise fut encore une époque désastreuse pour Montfort, qui se trouva exposé à toutes sortes de violences. Au milieu du désordre général, presque tous les titres constitutifs des redevances féodales furent brûlés ou détruits. Des lettres patentes du roi Louis XI, du 20 février 1463, autorisèrent Jean de Tournebus, seigneur de Beaumesnil et de Glos sur Risle, propriétaire « de tous temps et d'ancienneté des moulins situés en la ville et pays de Montfort » (17), à procéder à une enquête pour rétablir ses anciens droits. Il fut constaté par l'information, dont les résultats furent sanctionnés par un jugement du 18 novembre 1464, que « tous les hommes résséans et demeurans en la ville de Montfort, tant boulangers que autres, et tous autres qui voudroient y venir vendre et distribuer pain à autre jour que au jour de marché ou de la foire Bougy (18), étoient sujets, sous peine de forfaiture, moudre leurs grains ès moulins de Beaumesnil, sis audit lieu ». Il n'y avait d'exception que pour « les demeurans audit Montfort, qui étoient hommes résséans et tenons des fiefs des Crottes et de la Motte (19), qui devoient aller moudre leur grain dont ils faisaient pain pour leur étorement », les premiers aux Neufmoulins, les seconds au Moulin au Comte (20).

 

La déposition des témoins nous fait encore connaître d'autres faits, qu'il n'est pas inutile de consigner ici :

 

Les demeurans en la ville de Montfort et bourgade d'icelle seulement, usans de brasserie de cervoises, bières et autres tels breuvages, ne pouvoient aller moudre le grain qu'ils employoient, ailleurs qu'aux moulins de Beaumesnil. Soixante ans auparavant, le seigneur avait pris à forfaiture certain nombre de barils de cervoise, que vendait un habitant, sans avoir payé la moulte du grain dont il s'était servi ;

 

2° Tous les résséans du seigneur de Beaumesnil, et par espécial les demeurans sur l'héritage qui avoit été baillé par le roi audit seigneur, il y avoit près de cent cinquante ans, es paroisses de Montfort, Saint Vaul de la Haie, llleville, Touville et Brestôt, estaient sujets au baon des dits moulins, et les non résséans devoient émouter au champ ;

 

Si aucun boulanger du dehors venoit vendre du pain à Montfort, à autres jours que les marchés et la foire Bougy, la permission ne lui en était accordée que lorsque les boulangers de la ville avaient vendu le leur ; et encore ne le pouvait-il sans composition au seigneur ou à son fermier des moulins. Cette composition consistait à payer double moulte.

 

Un témoin affirme qu'il se souvenait bien que sept boulangers de Montfort étaient sujets, eux et leurs semblables, à aller moudre leur grain aux moulins de Beaumesnil (21). Cette déposition peut faire apprécier, jusqu'à un certain point, l'ancienne importance de Montfort. A une époque où chaque profession n'était pas envahie, comme de nos jours, par de nombreux concurrents, l'existence simultanée de plus de sept boulangers, sans compter ceux qui venaient du dehors, indique une assez forte population. Maintenant, pour cinq cent soixante et onze habitants, il existe à Montfort trois boulangers. En adoptant ces deux chiffres pour bases, et en fixant à douze le nombre des boulangers de Montfort au quinzième siècle, on trouverait une population de 2 284 âmes, qui pourrait bien être élevée à près de 3 000, si l'on voulait faire la part de la différence des temps.

 

A différentes reprises, les rois de France avaient aliéné, à charge de rachat, quelques parties de leurs domaines de Montfort : il en avait été ainsi de la prévôté de cette ville. En 1543, elle était possédée par Nicolas du Buisson. Sept ans plus tard, elle passa à l'amiral d'Annebaut, avec tous les domaines de la vicomté, par suite d'un échange avec Henri II. Depuis cette époque, Montfort eut les mêmes seigneurs qu'Appeville-Annebaut, jusqu'en 1784, que la vicomté rentra dans le domaine de la couronne.

 

Les maisons du bourg étaient en franche bourgeoisie, et relevaient du roi, dont les droits directs s'étendaient sur les trois quarts de la commune. Le dernier quart était tenu du fief des Crottes, du fief de la Motte et du fief de Fontainecourt (22). Les habitants n'étaient soumis qu'à des rentes en argent, assez minimes.

 

Montfort possédait autrefois un petit hôpital, qui était encore sur pied en 1488 (23).

 

En remplacement de l'ancienne chapelle St Nicolas, qui avait été fondée dans le château, et dont les fonds étaient unis à la cure dès le treizième siècle, on en construisit, sous le titre de Notre Dame, une autre à laquelle Charles VII et Louis XI attachèrent quelques revenus en 1458 et 1469. En 1615, Bernard Potier de Blérencourt, baron d'Annebaut, d'accord avec sa femme, Charlotte de Vieux Pont, donna cette chapelle aux pères de l'Oratoire, qui en avaient déjà le brevet du roi, en date du 1er janvier de la même année, à condition d'y vivre en communauté, au nombre de huit. Ces frères s'y établirent, moyennant quelques fonds qu'ils obtinrent de Blérencourt et de divers particuliers, et occupèrent aussi la cure, qui était sous le patronage de l'abbaye du Bec ; mais, n'ayant pu y demeurer que deux, ils se retirèrent le 18 janvier 1638. L'année suivante, par acte du 24 janvier, Blérencourt et sa femme, pour satisfaire au désir du roi, qui vouloit que la chapelle fust conservée et à la dévotion particulière qu'ils avoient à l'égard des dites religieuses des Dix Vertus, firent un accord avec les Annonciades de Gisors, qui, après avoir obtenu le consentement de l'archevêque et le brevet du roi, prirent possession, le 12 mai, de la maison que les pères de l'Oratoire avaient habitée. Les conditions de leur admission étaient qu'elles résideraient au nombre de dix huit ; qu'elles célébreraient le service divin suivant la règle de leur ordre; qu'elles recevraient gratuitement, et sans dot, une fille pour y faire profession, à la présentation des fondateurs ; qu'enfin elles prieraient pour eux et pour le roi. Des lettres patentes de 1656 confirmèrent cet établissement, qui subsista jusqu'en 1730, sous la direction des Cordelières. Alors, les religieuses quittèrent la communauté, sur les obédiences du seigneur archevêque de Rouen.

 

En 1766, les créanciers de l'engagiste de la vicomté firent saisir tous les biens de la chapelle, l’unique ornement de Montfort, qui resta ainsi abandonnée aux ravages du temps. C'était un monument d'un dessin assez régulier : huit colonnes, dans le milieu, soutenaient une coupole de forme octogone et une tour couronnée, aussi octogone. On admirait les arcs et les dehors de ce petit dome, orné de pyramides. Cette chapelle était située près de l’église, au-dessous des ruines de l'ancien château. La maison conventuelle se trouvait de l'autre côté du chemin. Une voûte souterraine conduisait à la chapelle.

 

En 1770, l'archevêque de Rouen proposa à la fabrique de Montfort l'église des Annonciades, pour en faire une église paroissiale, et une rente de 300 l. pour subvenir à son entretien. Le curé, poussé par un motif d'intérêt personnel, parvint à faire rejeter la proposition, sous prétexte que la réparation de cet édifice serait un fardeau trop pesant pour la commune de Montfort. L'église de Montfort était alors dans un état déplorable : c'était une espèce de grange en ruine. Pour la rebâtir, il fallut une somme bien plus forte que celle qui eût été nécessaire pour mettre en état la chapelle des Annonciades, et l'on perdit un respectable monument qui subsistoit depuis trois cents ans (24).

 

On ne trouve point une compensation de cette perte dans l'église actuelle. C'est une simple bâtisse en brique. Le clocher, plus ancien, n'a pas un caractère bien marqué. Ce qu'il offre de plus remarquable, c'est la grande quantité de lierre qui le recouvre (25).

 

L'église de Montfort est sous l'invocation de St Pierre et St Paul ; on y invoque, en outre, Ste Clotilde pour la guérison de toutes sortes de maux, St Mathurin et St Vincent pour la colique, Ste Claire pour le mal des yeux, St Gilles pour la peur, Ste Marie l'Egyptienne pour la fièvre, ND de Pitié pour un heureux accouchement.

 

On voit, auprès de celle-ci, dans la muraille de l'église, un gros silex où est scellée une chaîne en fer : c'est le souvenir d'un miracle ! Les habitants racontent que des soldats ayant jeté dans la Risle, avec une pierre au cou, une jeune fille qui ne voulait pas se laisser violer, elle invoqua Notre Dame, et fut sauvée par sa protection.

 

Le château de Montfort n'avait pas été complétement détruit par Jean sans Terre : plusieurs fois, des bandes armées s'y retranchèrent pendant les troubles qui désolèrent la France, notamment en 1473 et en 1591. Le souvenir de ces luttes n'a pas été conservé. On sait seulement qu'elles amenèrent la ruine de Montfort qui, assure-t-on, fut incendié.

 

Suivant la tradition, l'ancienne ville aurait existé en tout ou partie de l'autre côté de la Risle, et se serait étendue jusqu'aux prés dits de Montfort, situés sur Saint Philbert. Ce qui paraît appuyer cette assertion, c'est que, avant la révolution, les propriétés sises sur la rive gauche de la rivière, entre le chemin de Montfort à Saint Philbert, le chemin de Freneuse et le chemin tendant aux prés l'Evêque, étaient considérés comme en bourgeoisie ; c'est qu'enfin, pour ces propriétés comme pour celles de Montfort, on avait un an et un jour pour exercer le retrait lignager (26), tandis que le délai n'était que de six semaines dans les autres parties de Saint Philbert. Mais, d'un autre côté, on n'a pas trouvé de vestiges de constructions sur ce point ; et l'on sait, d'ailleurs, qu'autour des villes, une plus ou moins grande étendue de terrain était tenue en franc-bourgage. On pourrait seulement conclure de ces deux circonstances qu'une partie de Saint Philbert dépendit autrefois de Montfort. Une foule de considérations concourent à démontrer que la ville, même aux époques les plus reculées, occupa, au pied de la forteresse, la même position que le bourg actuel.

 

De ce qui fit la force et l'importance de Montfort, il ne reste plus que les débris de son château. On l'aperçoit encore aujourd'hui, ruiné, mais de bout comme un athlète opiniâtre qu'un long combat n'a pu lasser. Son enceinte était très étendue et présentait la forme d'un rectangle. De fortes murailles, flanquées de plusieurs tours rondes et carrées, le défendaient de tous côtés, et d'énormes ruines indiquent que le donjon s'élevait sur le bord de la muraille du Sud Est. Les puits et les souterrains du château ont été entièrement obstrués par les décombres. Il y a quelques années, on voyait encore les vestiges d'un de ces chemins, qui communiquait, dit-on, à la rivière ; on l'appelait le trou Boscot.

 

Des pélerins viennent quelquefois accomplir des vœux au milieu des ruines du château, et y déposent, en l'honneur de St Nicolas, de légères offrandes en argent et du lin prêt à filer. Non loin de là se trouve un tertre que l'on appelle la butte qui sonne. On raconte, dans le pays, que les personnes à foi vive qui veulent s'y rendre la nuit qui précède la fête de St Jean Baptiste (24 juin), y entendent les sons harmonieux d'une musique souterraine.

 

A Montfort, le droit de foires et marchés appartint successivement au roi et aux seigneurs, à qui ces droits étaient transmis. Au quinzième siècle, je ne trouve mentionnés qu'une foire et qu'un marché. Il y a maintenant les foires du mardi de la quatrième semaine de Carême, de St Pierre et St Paul, et de St Simon et St Jude, où l'on vend des bestiaux, des grains, des toiles, du fil, du lin, de la mercerie, de la friperie, de la quincaillerie, etc. Le marché se tient le mardi de chaque semaine (27). Montfort, limité à l'Est par Glos, et à l'Ouest par Appeville, s'étend entre la forêt qui porte son nom et la rivière de Risle. A un demi-quart de lieue du bourg, dans la forêt, se trouve le petit hameau de la vallée de Cahaigne, qui ne renferme que quatre à cinq habitations, environ vingt hectares de terre de toute nature, et des viviers dont les eaux alimentent deux moulins, puis, après avoir traversé la route d'Evreux entre Montfort et Appeville, vont se jeter dans la Risle sous le nom de Doult de Claireau. La Risle fait mouvoir un autre moulin à blé dans le bourg (28).

 

Notes

 

(1) Je ne parle point du chemin de Lisieux à Rouen, indiqué comme une voie romaine ; il ne me parait plus appartenir à une époque si reculée. Les communications entre les deux villes n'eurent lieu, par ce chemin, que lorsque celui qui passait par Lieurey, Saint Georges et Pont-Autou fut devenu impraticable

(2) « In veteri castro super Rislam, quod dicitur Monsfortis », Recueil des Historiens de France, tome XIV, page 273

(3) La maison de Guiry est une des plus anciennes qui existent en France. St Romain, archevêque de Rouen, était de cette famille. On voit encore à Joli Village, près Guiry, canton de Marines, arrondissement de Pontoise, les ruines du château de Saint Romain de Guiry, qui a appartenu aux chanoines de la cathédrale de Rouen. MM. de Guiry étaient porte-oriflamme et maréchaux héréditaires des Vexins français et normand

(4) « Hugo de Montfort perfecerat quoddam castellum validissimum in eodem loco », Robert de Monte, Append. ad Sig.

(5) Histoire de la Maison d'Harcourt

(6) Chronica Beccensis, au Recueil des Historiens de France, t. XIV, p. 273 ; Guill. Gemet., VII, page 289 ; Notes du Roman de Rou, par M. A. Leprevost, etc

(7) Orderic Vital, livre 1 ; Roman de Rou, tome II, page 2 ; Dumoulin, page 125, etc

(8) Orderic Vital ; Roman de Rou, tome II, pages 230, 244, 530 ; et notes de M. A. Leprevost (Supplément, page 6)

(9) Orderic Vital, livres X et XI

(10) Tome II, pages 37 et suivantes

(11) Archives d'Evreux

(12) Philippides, livre VIII, Extrait de l'itinéraire de Jean sans Terre, composé d'après les rôles existant à la Tour de Londres

(13) Ils sont notamment cités en 1179, comme témoins du mariage du fils de Robert de Meulan avec Marguerite de Fougères (Histoire de la Maison d'Harcourt)

(14) Histoire de la Maison d'Harcourt, tome IV, page 2175

(15) Supplément aux notes sur le Roman de Rou, par M. A. Leprevost, page 7

(16) Nous voyons, dans les Rôles gascons, normands et français, qu'en 1420 le roi d'Angleterre rendit à Richard Duclos ses héritages et sa sergenterie de Montfort, momentanément confisqués

(17) Nous voyons, dans une charte de Philippe le Bel de 1314 (Ducange, verbo Feudo firma), que ce prince avait donné les moulins de Montfort, à fiefferme, à feu son chambellan, Pierre de Chambly, et qu'il fit remise aux fils de ce seigneur de la pension qu'il avait d'abord exigée pour ces moulins. Ils appartinrent, dans la suite, aux Montmorency-Tancarville

(18) Il est dit ailleurs : « Qui se tient aux champs de la Bougie »

(19) Le fief de la Motte, à Montfort ; le fief des Crottes, à Ecaquelon

(20) Les Neufmoulins, situés à Corneville ; le Moulin au Comte, à Montfort

(21) Mémoires sur procès, communiqués par M. Lefebvre, secrétaire de la mairie de Pont-Audemer

(22) Fontainecourt (Fontani curtis) appartenait, au onzième siècle, à Guillaume, vicomte de Montfort, et, à la fin du dix huitième, à M. de Grente de Grecourt. L'ancien fief de la Motte appartient à M. du Fay

(23) Description de la Haute Normandie

(24) Toussaint du Plessis, et ms. communiqué par M. Lefebvre. Après le refus des habitants, l'archevêque rendit un décret portant réunion de la communauté de Montfort à celle des religieuses du St Sacrement de Rouen

(25) L'église de Montfort et celle d'Appeville, avec leurs terres et leurs dîmes, avaient été données à l'abbaye du Bec par Robert de Montfort

(26) « Retrait lignager est un droit en vertu duquel un parent, du côté et ligne dont est venu au vendeur un héritage vendu, peut le retirer des mains de l'acquéreur, en intentant l'action en retrait dans le temps prescrit, à l'effet de le conserver dans la famille » (Ferrière ; Introduction à la Pratique)

(27) Objets de consommation soumis, en 1832, aux droits de l'octroi de Montfort : 55 bœufs ou vaches, 54 veaux, 21 moutons, 11 porcs ; vin, 3 168 ; alcool, 35 009

(28) M. Rabasse, maire de Montfort, et M. Rabasse fils, ancien notaire, ont bien voulu me donner quelques renseignements sur cette commune