La
légende de la cane de Montfort
1. Cette légende comporte plusieurs
variantes. Elle ne semble pas s'être transmise oralement sous forme de récits
en prose.
Le lieu de l'événement
lui-même n'est pas certain. Ainsi, certaines versions chantées (dont une
chanson de
soldats, La fille du pais du Maine, qui parle aussi d'une jeune femme
transformée en cane), ont été construites sur ce thème.
2. Par contre, une forme
versifiée en a été composée (1652) par le père Barleuf, sous le titre Récit véritable de la venue d'une canne sauvage en la
ville de Montfort.
Cette version a été
rééditée par Frédéric Joüons des Longrais, qui mentionne aussi une rumeur selon
laquelle les habitants de Montfort croyaient qu'une empreinte située sur le
manteau de la cheminée de la grande salle du château de Montfort était une
marque laissée par la cane en question.
3. Dans ses Antiquités historiques et monumentales, M.
Poignand produit (circa 1820) une chanson qui précise que la légende provient
d'un fait qui s'est produit à Montfort. La chanson est la suivante.
"Une
fille du bourg de Saint Gilles,
Des plus
belles et des plus gentilles,
Un
dimanche dans la matinée
Par des
soldats fut enlevée.
Lui ont
lié si dur les veines
Qu'elle
ne peut avoir son haleine,
Et
l'ont, malgré tous ses efforts,
Conduite
au château de Montfort.
L'officier
la voyant venir
De joie
ne pouvait se tenir :
''Faites-la
monter dans ma chambre,
Nous
dînerons tantôt ensemble''.
A chaque
marche qu'elle montait,
Son
pauvre coeur (il) soupirait.
''C'est
donc ici la belle chambre
Où il
faut que mon Dieu j'offense''.
Le
capitaine assura bien
Que son
Dieu n'offenserait point,
Qu'il
lui donnait son coeur pour gage
Et la
prendrait en mariage.
''Oh !
Monsieur, permettez-moi donc
Que je
fasse mon oraison''.
Elle a
prié Dieu, Notre Dame
Et saint
Nicolas d'être cane.
Quand la
prière fut achevée,
En cane
elle a pris sa volée,
Elle
s'envola par une grille
Dans un
étang plein de lentilles.
Quand le
capitaine vit celà,
Tous ses
soldats il appela,
Ont bien
donné cinq cent coups d'armes
N'ont
jamais pu toucher la cane.
Le
capitaine au désespoir,
Ne veut
rien entendre ni voir,
Ne veut
plus être capitaine,
Dans un
couvent se fera moine."
4. Un certain docteur
Roulin a recueilli (circa 1850) deux versions de cette légende, reproduites par
Lucien Descombes, dans ses Chansons
populaires d'Ille et Vilaine.
Roulin avait recueilli une chanson, datant de la jeunesse de
Châteaubriand, et s'inspirant de la même trame légendaire. Cependant, le lien
de la légende primitive avec Montfort n'est pas assuré.
5. Jouon des Longrais reproduit plusieurs variantes d'une chanson populaire, dont Chateaubriand cite quelques vers dans ses Mémoires d'outre-tombe, vers que sa mère lui chantait lorsqu'il était enfant. La version du miracle de cette cane donnée par Châteaubriand est la suivante.
Un certain seigneur avait enfermé une jeune fille d'une grande beauté
dans son château de Montfort. Apercevant l'église Saint Nicolas à travers une
lucarne, elle pria ce saint à tel point qu'elle fut transportée miraculeusement
hors de sa prison.
Mais elle tomba entre les mains des serviteurs du seigneur qui
voulurent agir envers elle comme ils pensaient que leur maître eut fait. La
jeune femme, cherchant alors du secours, ne vit que des canes sauvages dans
l'étang du château. Invoquant à nouveau Saint Nicolas, elle lui demanda de
permettre que ces oiseaux soient témoins de son infortune : ainsi, dans le cas
où elle aurait perdu la vie sans avoir pu réaliser son voeu envers le saint,
ces oiseaux l'auraient remplis à sa place et à leur manière. Elle échappa par
miracle au sévice, mais elle mourut peu après.
A la fête de la Saint Nicolas suivante (9 mai), on vit arriver une cane
sauvage et ses canetons à l'église dédiée à ce saint pour lui rendre hommage,
lui laissant un de ses petits en offrande. Peu de temps après, le caneton s'en
retourna à l'insu de tout le monde. Depuis, et pendant plus de trois cent ans,
cette même cane revint le même jour, avec sa couvée, dans l'église Saint
Nicolas, sans que l'on sache d'où elle venait.
5. La grande verrière de
l'église Saint Nicolas de Montfort, aujourd'hui disparue, avait été donnée (XVIème)
par Guy, comte de Laval. Cette verrière comportait une illustration montrant
une cane et trois canetons se déplaçant devant Saint Nicolas, près duquel se
trouvent aussi trois enfants. L'ouvrage de Joüons des Longrais reproduit cette
scène, dont une version figure dans Sébillot.
Bibliographie
Sébillot Paul (1843-1918),
"Petite légende dorée de la Haute-Bretagne", Collection Petite
bibliothèque bretonne, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de
Bretagne, Nantes, 1897
Sébillot Paul, "Contes de la Haute-Bretagne" (Extrait de la Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou), Imprimerie de Lafolye, Vannes, 1892
Sébillot Paul, "Coutumes populaires de la Haute-Bretagne", Collection Les littératures populaires de toutes les nations (n° 22), G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris, 1967
Sébillot Paul, "Légendes locales de la Haute-Bretagne", Collection Petite bibliothèque bretonne, Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, Nantes, 1899-1900
Sébillot Paul, "Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne" (2 tomes), Collection Les littératures populaires de toutes les nations, Paris : G.-P. Maisonneuve et Larose, 1967. 18 cm)