Roujoux Prudence Guillaume de -, « Histoire des rois & des ducs de Bretagnes » (tome 3), Librairie Dufey, Paris, 1829
Extrait (pages 407-409)
La cane de Montfort sur
Meu
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Les comtes de Montfort
prenaient leur titre du château de la petite ville de Montfort sur Meu, située
à cinq lieues ouest de Rennes, et contenant à peine aujourd'hui quinze cents
habitants. Cette ville se nomme aussi Montfort la Cane. Elle était autrefois
célèbre, à raison du miracle qui s'y opérait tous les ans.
Il existait au faubourg
de cette ville une église paroissiale dédiée à saint Nicolas, et, assez près de
là, un étang placé sous le château. Le jours où l'on fêtait saint Nicolas, à
Monfort sur Meu, le peuple accourait des cantons de Bretagne les plus éloignés,
afin de voir une cane pieuse qui sortait de l'étang, suivie de ses canetons, au
moment où la messe commençait, traversait, sans s'effrayer, la foule qui se
précipitait sur son passage, se rendait à l'église, assistait à la célébration
des saints mystères, et s'en retournait en paix dans son étang, où elle
disparaissait à tous les regards. Fulgose en a parlé ; Chasseneuz, président au
parlement de Dijon, a raconté ce fait dans son livre De Dictis et Factis
memorabilibus.
Le bon d'Argentré n'a
pas vu cette cane merveilleuse ; mais il vivait dans un temps où d'autres
personnes avaient pu assister au miracle et en redre témoignage. La cane, à
cette époque, au seizième siècle, se montrait beaucoup plus rarement.
Un grand seigneur, qui
venait d'embrasser la religion réformée, se moqua beaucoup de cette cane, et
prétendit que les prêtres avaient arrangé ce miracle, afin d'attirer à leur
église des visiteurs, des donations et des offrandes. Il en avait plaisanté
avec ses amis, et son incrédulité semblait impossible à déraciner, lorsqu'un
beau jour, des affaires le conduisirent à Monfort. C'était la fête de saint
Nicolas. Le protestant, n'allant pas à l'église, se fit servir à dîner ; mais,
au moment où il commençait son repas, on vint l'avertir que la cane paraissait.
Il sortit en hâte et courut vers la chapelle du saint. Il rencontra en effet
sur son chemin la cane miraculeuse, qui fendait gravement les flots du peuple.
Elle entra dans l'église et pénétra jusqu'au pied de l'autel, où elle s'arrêta
sur une marche, et la messe commença. On se pressait tellement pour voir cette
cane, qu'elle s'effraya et prit son vol ; mais elle ne sortit point, elle se
posa sur une balustrade, et continua à suivre l'office avec beaucoup de
recueillement. Lorsque la messe fut dite, elle reprit tranquillement le chemin
par lequel elle était venue. L'incrédule, qui ne l'avait pas perdue de vue,
l'accompagna jusqu'à son étang, où elle disparut. Depuis ce temps, il garda un
profond silence quand on l'interrogeait sur cet événement ; et il ne s'avisait
plus de dire, comme autrefois, que la cane avait été attirée ou apprivoisée par
les prêtres, car il avouait qu'elle était véritablement sauvage.
Tel est le récit de
Bertrand d'Argentré, qui compare ce miracle à ceux de l'âne de Balaam, des
corbeaux d'Elie et du dogue qui conversa longuement avec saint Pierre et Simon
le Magicien. Il n'ajoute pas que la cane était une ancienne comtesse de
Monfort, condamnée, pour ses péchés, à se remontrer annuellement, sous cette
forme, pendant trois cent ans ; mais je l'ai lu dans le Recueil des vies des
saints de Bretagne, par Albert le Grand.
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