Société française d’archéologie, « Bulletin monumental », Sixième série, tome sixième, Alphonse Picard, Paris, Henri Delesques, Caen, 1890

Article d’Emile Travers, « Les sceaux. A propos d’une récente publication de M. Lecoy de La Marche », pages 65-82

 

Extrait (sceau de Simon IV de Montfort, entre les pages 68 et 69)

 

... M. Lecoy de La Marche donne (page 191) un dessin du sceau de Simon IV, seigneur de Montfort, d’après une empreinte de 1211. C’est le troisième sceau de ce personnage, et il s’en est servi de 1200 à 1216 et probablement jusqu’à sa mort arrivée en 1218. Dout d’Arcq (1) l’attribue à son fils Simon, qui mourut en 1265, après avoir rendu si célèbre le titre de comte de Leicester. C’est une erreur que M. Lecoy de La Marche a adoptée, bien que M. A. de Dion l’eût déjà signalée aux savants conservateurs de la collection sigillograpliique des Archives nationales. Le fameux comte de Leicester, a peine né en 1200, n’était qu’un enfant eu 1211. Il est vrai que son père porta aussi, à partir de 1204, le titre dc comte de Leicester, mais en y joignant, depuis 1209, ceux de duc de Narbonne, de comte de Toulouse, dc vicomte de Bézicrs et de Carcassonne, et de seigneur dc Montfort (2).

 

Du vivant dc son père, Simon III, dit le Chauve, comte d’Evreux et seigneur dc Montfort, le futur chef dc la croisade contre les Albigeois, avait un sceau au type du chasseur, avec la légende : SIGILLUM SIMONIS DOMINI DE RVPE FORTI. C’était l’imitation d’un des deux sceaux dc son père qui, sur l’un, est représenté galopant à gauche, couvert d’un bouclier bordé et chargé d’un soleil, ou plutôt d’un rais d’escarboucle, vêtu et capuchonné de mailles, tenant en arrêt une lance ornée d’un petit pennon, avec la légende SIGILLVM SIMONIS COMITIS EBROICARVM ; sur l’autre, ou le voit en costume de chasse, galopant à droite, tète nue, sans armes, sonnant d’une longue trompe de chasse, accompagné d’un chien colleté courant sous le cheval, avec la légende : SIGILLVM SIMONIS COMITIS MONTE FORTIS. Ce type du chasseur , qui se trouve reproduit sur huit sceaux de la famille de Montfort, n’est pas une fantaisie de Nemrods ; c’est la constatation, puis le souvenir du titre de gruyers ou de forestiers de l’Iveline, confirmé aux seigneurs de Montfort par un des articles du traité de paix conclu, en 1160, entre les rois de France et d’Angleterre. A la mort de Simon III, son fils aîné, Amaury, lui succéda dans le comté d’Évreux, et

Simon III devint seigneur de Montfort. Il se fit graver alors un nouveau sceau dont on a des empreintes appendues à des actes de 1195 et 1196. Il y est encore représenté en chasseur et sonnant de la trompe, mais il a le casque en tête et est couvert d’un immense bouclier chargé d’un lion rampant contourné et à la queue fourchée (armes de la maison de Montfort l’Amaury). Des rinceaux et une plante à deux fleurs, peut-être deux roses, figurent la forêt. Les jambes de l’homme et celles du cheval sont ridiculement petites ; en revanche, le cou d’un des chiens est extraordinairernent allongé. Tout l’ensemble forme un dessin détestable et la gravure n’a qu’un relief trop faible (3). Siinon de Montfort, fatigué de se servir d’un sceau ausssi médiocre, en fit graver un autre.

 

C’est celui attribué à tort à Simon, comte de Leicester, fils de Siinon IV, par Douët d’Arcq et par M. Lecoy de La Marche, lequel en donne un dessin reproduit ici. L’exécution de ce sceau n’est pas aussi mauvaise que M. Lecoy de La Marche le donne à entendre. M. de Dion en a vu une empreinte où la tête du cheval est superbe. La tête et le corps de l’homme sont d’un dessin très satisfaisant, mais ses jambes, il est vrai, ainsi que les jambes de devant du cheval, sont beaucoup trop minces. Derrière le cavalier, on remarque, non pas « une petite plante des plus primitives, ornée de deux fleurs et de trois feuilles », mais une branche de rosier très élégante, garnie de feuilles et terminée par une fleur bien tracée. Un détail excellent, c’est le chien qui quête et que l’on voit entre les jambes du cheval. En résumé, malgré quelques graves imperfections, ce sceau est remarquable par la bonne composition de l’ensemble et par son puissant relief.

 

Enfin, lorsque Simon IV de Montfort se crut maître incontesté du comté de Toulouse, il se fit graver encore un autre sceau, dont il se servit pour ses possessions du midi de la France, et pour lequel il adopta un type de majesté imité des anciens comtes de Toulouse et des rois d’Aragon. Il y est représenté assis sur un banc, tête nue et tenant une large épée sur ses genoux. Un détail essentiel a échappé à Douët d’Arcqu dans la description qu’il a donnée de ce sceau (4) : c’est la croix, signe distinctif de la croisade, brodée sur l’épaule droite du fameux guerrier ....

 

Notes

 

(1) Inventaire des sceaux des Archives de l’Empire, n° 708

(2) Cf le chapitre intitulé: Sceaux et armoiries des comtes de Montfort l’Amaury, placé par M. de Dion en tête du Nobiliaire et armorial du comté de Montfort l’Amaury, par Adrien Maquet et Adolphe de Dion, Rambouillet, 1881, in-8°

(3) Ce sceau a été publié dans le Trésor de numismatique et de glyptiquc (Sceaux des grands feudataires de la couronne de France, planche XXXI, 6) et par Bordier et Charton, Histoire de France, tome I, page 334

(4) Inventaire des Sceaux, n° 747