« Les instantanés. Croquis et impressions de voyage d'un métromane,
1902-1903 » (tome 1)
par L.D. Bessières
Emile Colin, Imprimerie
de Lagny
1904
Saint Denis
Saint Denis vient
s’étendre au milieu d’une plaine
Et, sur sa rive droite,
à côté de la Seine ;
Le Crond et le Rouillon,
deux modestes ruisseaux,
L’arrosent, par
surcroît, de leurs paisibles eaux,
Sans parler du canal
joignant l’Ourcq à la Seine.
Encor, j’ajouterai, sans
que celà m’entraîne :
Deux rues coupent la
ville en quatre, tout d’abord
La grand’rue de Paris
qui va du sud au nord,
L’autre, de l’ouest à
l’est, rue de la République
Qui part de la Paroisse
et joint la Basilique.
C’est de ce monument
surtout qu’il faut parler ;
Gardons-le pour la fin,
si celà peut aller.
Par le moins curieux,
commençons au contraire,
Pour arriver ensuite à
mieux vous satisfaire.
Je ne dis pas un mot des
foires du Landit,
Ni de cette abbaye que
De Cotte bâtit,
La Légion d’honneur
aujourd’hui. Je préfère
A l’histoire toujours,
l’instantané sincère.
Je dirai cependant que,
ville industrielle,
Saint-Denis me paraît
n’être rien moins que belle ;
Tout est noir de fumée,
et l’air est saturé
Du trop-plein des
produits dont il s’est emparé.
Commençons donc ici :
quel est ce monument,
Place aux Gueldres, tout
près, servant en ce moment
De Justice de paix ? J’y
vois une coupole ;
Le portique en avant
n’est rien moins que frivole,
Plutôt grave, au
contraire. Oui, c’était autrefois,
Avant qu’il ne devint un
asile des lois,
La Petite-Paroisse, et
la chapelle même
D’un couvent du Carmel,
datant du dix-huitième.
Henriette d’Angleterre
eut ici son tombeau.
L’édifice restreint est
d’aspect noble et beau.
Mais voici la Paroisse,
une modernte église
De quarante ans à peine
et qui, sans qu’on le dise,
Est de Viollet - Le Duc,
celà se reconnaît
Aux détails, aux profils
que le maître donnait,
Sans jamais hésiter, de
sa main ferme et sûre.
Quoi qu’on puisse penser
de cette architecture,
On ne saurait nier sa
personnalité,
Son horreur du poncif,
de la banalité.
Tout imbu qu’il était
des arts du moyen Age,
C’était pour son esprit
un si léger bagage
Que, sachant de l’acquis
toujours se défier,
Il les interprétait sans
jamais copier.
Tout se tient bien ici,
c’est une oeuvre de maître
Personnelle toujours, on
doit le reconnaître,
Pour quelques-uns,
peut-être, un peu plus qu’il ne faut,
Si, comme on le prétend,
l’excès est un défaut.
Voyons donc, maintenant,
si cet Hôtel de Ville
A rempli de son mieux sa
tâche difficile :
Il paraît encombrant,
haut jambé, mal assis ;
D’où lui vient donc cet
air inquiet et indécis ?
Du manque trop complet
d’unité dans la masse,
Et de solidité dans
l’aspect de la face,
Du défaut absolu de
pondération
Des vides et des pleins,
comme opposition ;
Le bas trop ajouré, trop
haut et sans puissance ;
Le haut paraissant bas,
fatale conséquence.
D’où l’objet principal
d’un pareil monument,
Le piano nobile
manque complètement.
Celà semble indiquer
bien peu d’expérience.
La composition, de
pseudoo-Renaissance,
Sèche et froide souvent,
et très timide aussi,
Offrira quelquefois un
détail réussi.
Concluant, je dirai
qu’il n’est pas si facile
Qu’on le croit trop
souvent, pour la main même habile,
De créer de tous points
un ensemble parfait,
Quand de l’étude on est
trop vite satisfait.
Il faut sur le métier
remettre son ouvrage :
La main ne suffit pas où
la tête s’engage ;
Il faut l’expérience, il
faut ce sentiment
Qui s’affine avec l’âge
et le raisonnement.
Enfin nous arrivons
devant la Basilique,
Monument précieux,
incomparable, unique,
Où, six siècles durant, nos
rois ont entassé
Tant de merveilles
d’art, souvenirs du passé.
C’est à l’illustre Abbé,
c’est à Suger lui-même
Qu’est dû tout ce qu’on
voit remontant au douzième :
Ce beau triple portail
couronné de créneaux,
Cette rose au milieu,
ces tympans, ces arceaux.
Le choeur et le clocher
sont aussi du douzième,
La nef et le transept
datent seulement du treizième.
Dans cette basilique et
sa crypte, autrefois,
Avaient été placés tous
les tombeaux des rois.
La Révolution viola les
sépultures,
Renversa les tombeaux,
en brisa les sculptures ;
Sans respect de la mort,
la haine survivant
Effondra les cercueils,
jetant leur cendre au vent,
Et de leur plomb fondu
fit fabriquer des balles.
Non satisfaits encor,
les sinistres vandales
Des bronzes précieux fondirent
des canons ;
De ces bandits
l’histoire a conservé les noms.
Mais il fallut pourtant
relever ces ruines,
Ces ossements épars
projetés aux sentines,
Réparer des tombeaux les
débris précieux,
Les rétablir enfin dans
l’asile pieux.
Celà fut fait au mieux :
des monuments splendides
Sont réédifiés. De
sarcophages vides,
De colonnes, de croix,
un ensemble incomplet
Offre pourtant un
puissant intérêt.
Auprès du sanctuaire où
l’on vous accompagne,
Le tombeau de Louis
douze et d’Anne de Bretagne,
C’est le premier de
trois monuments somptueux ;
A sa suite, à côté, le
tombeau d’Henri deux
Et de sa femme aussi, la
grande Catherine ;
Puis enfin, le plus
beau, peut-être, j’imagine,
Le troisième tombeau
placé là le dernier
Est de Claude de France
et de François premier.
De ces trois monuments,
les maîtres de l’époque
Ont fait des oeuvres
d’art, où maint détail évoque
Les noms des Philibert,
des Ponce et des Pilon,
Ces artistes divins,
disciples d’Apollon.
Ici, de Dagobert, le
tombeau, du treizième ;
Celui de Clovis deux ;
dans le bas-côté même,
De précieux vitraux qui
datent de Suger,
Et bien d’autres
tombeaux, des urnes, des statues,
Des figures de rois sur
la dalle étendues.
Dans le trésor, enfin,
tributaire des arts,
Mille objets précieux et
souvenirs épars.
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