(16 / 04 / 2019)
Le problème de la crise financière
peut se décrire de manière très simple, en dégageant ses principaux
facteurs, tant conjoncturels que structurels. Les suivants sont souvent des
« non dits », mais n’en sont pas moins des fondamentaux
indispensables à la compréhension des événements actuels. C’est la conjonction
dans le temps de ces facteurs qui explique la survenue d’événements
regrettables. Ces facteurs de crise ne sont pas nouveaux. Par contre, leur mise
en perspective dans ce papier l’est.
A dessein, le vocabulaire de
l’économiste ne sera pas utilisé. De plus, on peut trouver ici matière à polémique
... En particulier, on peut penser :
(a) que la « monnaie » ne
devrait être qu’un voile sur les échanges réels. D’où l’important problème de
la gestion de la masse monétaire dans sa seule fonction d’accompagnement des
échanges (encaisses de transaction) ;
(b) que les « instruments
financiers » doivent être des outils à la fois simples (pas de mélange des
genres avec les aspects assurantiels, par exemple) et directs (ainsi, les
intermédiations en chaîne - détention de titres d’entités possédant des titres
d’entités possédant des titres ... - sont tout-à-fait pernicieuses d’un point
de vue économique, même si celà semble, parfois, une nécessité).
Les développements qui suivent sont
très courts et on a dû les résumer. Tous ne relèvent pas de la science
économique, mais la seule réduction à cette science entraînerait des pertes de
compréhension (modestie oblige), car c’est un ensemble de phénomènes de société
(au sens de « société mondiale ») qui constitue la toile de fonds des
dysfonctionnements dont on avance ici l’explication.
Par conséquent, ce texte ne porte
pas particulièrement sur le système bancaire proprement dit, ni sur les modes
d’interprétation de sa comptabilité spécifique (évaluation des actifs/passifs
de bilans et pratiques financières associées). L’« absence d’un bon
diagnostic sur les causes de la crise » est peut-être vraie, mais
seulement dans la mesure où ce sont des ténors médiatisés (médias, classe
politique, milieux financiers) qui parlent de ce sujet, alors qu’ils n’ont
généralement aucune compétence pour mener ce genre d’analyse. Certains d’entre
eux ont peut-être même intérêt à voiler le problème et à obscurcir une
situation dans laquelle certaines « entités » trouvent des avantages.
Parmi les arguments utilisés, classiques et usés, on peut noter : la
prétendue complexité du sujet, l’information « incomplète » portant
sur ces questions, le retard de l’analyse économique, l’émergence de
comportements « nouveaux » ou « irrationnels », etc.
De même, ces discours font
référence à la « volatilité des cours de marchés » comme si ce
phénomène était erratique, non compréhensible et non contrôlable ;
pourtant, ces fluctuations de prix trouvent un sens grâce au recours à des
notions archi-connues : successions de comportements de défiance et de
confiance, vitesses de réaction variables des intervenants, accélérations
variables dans un contexte de compétitivité accrue sur les marchés, myopie ou
information imparfaite, etc.
On peut aisément construire des
modèles réalistes, aux propriétés explosives, pour illustrer cette
volatilité : chaos et bifurcations appliqués à des marchés critiques. De
plus, il n’est pas besoin de se retrancher dans un jargon économico-financier,
« terroriste » pour le commun des mortels, pour masquer l’impuissance
des analyses, ni de renvoyer sur « les autres » (agents économiques,
pays) l’origine de la crise (diabolisation classique en vue de
« rassurer » et de « reporter les problèmes ailleurs »).
Les points durs de la
situation internationale ont, on l’a évoqué, un caractère à la fois
structurel et conjoncturel. Ils sont ici présentés dans un ordre
incertain, dans la mesure où il n’est pas facile de les hiérarchiser. Il serait
d’ailleurs intéressant de bâtir un modèle économique à partir de ces éléments.
Ceux-ci suivent.
1. La pyramide inversée des pays avancés
La structure économique fondamentale de ces pays se caractérise par un secteur tertiaire pléthorique, un secteur secondaire largement externalisé (et délocalisé) et un secteur primaire aidé (aide qui n’empêche d’ailleurs pas l’existence de difficultés sérieuses). Une première ligne de striction majeure est donc la suivante : en cas de crise, les activités de type « superflu » (divers services, biens technologiquement sophistiqués ou biens de luxe) seront les premières affectées, et licencieront donc en premier ; de plus, les délocalisations affectent (aussi) le secondaire (d’où des pertes d’emplois dans un secteur crucial) ; enfin, on peut espérer que l’agriculture, déjà réduite à un minimum, puisse maintenir un certain équilibre, mais jusqu’à quel point ? Un nuage noir se profile donc à l’horizon : le chômage à la fois structurel (ie durable et massif).
2. Compétitions exacerbées
Entre entreprises ou groupes, une lutte
pour l’accès aux ressources rares (matières premières) (notamment
les non renouvelables, dont l’énergie), avec une forte rivalité de pays
émergents (Chine, Inde peut-être), concerne des zones fortement
exportatrices : Afrique, Amérique du Sud, Australie. Exemples :
évincement récent d’un groupe hollandais de cuivre implanté au Katanga au
bénéfice de
Ce type de compétition ne contribue
pas à stabiliser les cours mondiaux, dans la mesure où il crée des instabilités
et où l’on observe même des ruptures unilatérales de contrats ! Ces
instabilités ne peuvent pas être sans influence sur les autres fondamentaux
économiques, parmi lesquels les « mécanismes » (ou plutôt
« modes opératoires ») financiers.
3. La forte déconnection entre économie réelle et économie monétaire et financière.
L’expression « économie réelle » est ici entendue au sens des économistes (« quantités / qualités » de biens et services). Les « ponts » entre les deux sphères réelle et monétaire sont, de façon classique :
(a) l’émission monétaire à CT ;
(b) l’emprunt pour financer l’investissement des acteurs économiques : entreprises, ménages, Etat (emprunt et dette publics, financement des retraites et fonds de pension à MT et LT).
Or ces ponts nécessaires semblent de plus en plus « impalpables » et « déconnectés ».
Les pratiques, courantes et généralisées, de refinancement ou de réassurance contribuent à une complexification et à une opacité qui peuvent masquer l’apparition sournoise de phénomènes explosifs. Pour parler autrement, des 3 marchés usuels (biens et services, travail, capital et financier), le dernier fonctionne de plus en plus (et même désormais trop) de façon quasi-endogène : transactions portant sur des titres qui eux-mêmes couvrent des transactions sur des titres, etc, enchaînement pouvant générer ipso facto des instabilités dont certaines d’ampleur excessive.
Contrairement à l’un des buts affichés, l’intermédiation, poussée jusqu’à ces extrémités, représente un réel danger pour la stabilité économique, donc sociale et politique.
4. La montée d’un
« matérialisme mondial »
Tous les pays sont touchés par ce
phénomène, même les moins favorisés.
A l’intérieur des pays, on avance
souvent (la preuve n’étant pas vraiment faite) l’existence d’une bimodalité
entre hauts revenus et bas revenus, pôles entourant un fossé intermédiaire qui
s’élargirait.
Cette évolution, par rapprochement
avec la multiplication des actes frauduleux (abus de confiance,
délits d’initiés, prises illégales d’intérêts, convergences d’intérêts et
collusions, etc), peut masque l’existence de revenus très importants
bénéficiant à des individus sans scrupules (il ne s’agit pas seulement du
blanchiment de ces revenus ou des paradis fiscaux, mais aussi des ponts d’or
versés à des dirigeants dont la gestion est déraisonnable).
Un « mot d’ordre »
(magique), sorte de credo répandu dans divers milieux (dirigeants, voire
cadres, d’entreprises - aussi bien que mafieux de tous acabits) est le
suivant : gagner de l’argent rapidement, facilement et
massivement. Or, un tel objectif peut (en général) difficilement être
réalisé en toute impunité : le seul recours pouvant le
compromettre serait ... le recours à
La moralité ambiante (celle ayant
cours dans les divers pays) est donc dûrement affectée par ces comportements.
Ce n’est plus la mauvaise monnaie qui chasse la bonne, mais le contraire
(blanchiment) ; c’est aussi l’appat du lucre qui chasse le sens moral.
Certains considèrent même que, du point de vue de la rationalité économique, le
fait que des « petits malins » grugent des « grands idiots »
peut s’interpréter à l’aide d’un schéma de type prédateur-proie, et aboutit à
assainir le marché (côté demande) en paupérisant ces mêmes demandeurs. En
théorie, les prédateurs eux-mêmes devraient donc disparaître ...
Il n’est pas certain que des autorités publiques elles-mêmes ne trouvent quelque avantage à la situation. Des comportements (systématiques, sinon généralisés) du type « après moi : le déluge » ont pour conséquence de repousser dans le temps la prise de conscience des problèmes, de jeter un écran de fumée en vue (justement !) de compliquer les analyses qui peuvent être faites, et ainsi de retarder l’apparition de mesures correctives. Ces dernière risquent donc d’être, par ces faits mêmes, plus brutales, donc plus préjudiciables aux économies, aux sociétés et aux états.
Partant de l’idée que le développement économique optimal (et pas seulement lui) nécessite un contexte (ordre ?) politico-social stable engendrant une confiance minimale, on peut s’interroger sur le fait que l’un des fondamentaux de l’économie réside justement dans cette confiance. Or, ce concept n’a, pendant longtemps, été défini nulle part par les économistes, qui l’ont trop longtemps considéré comme une donnée, alors qu’il est à la base de la plupart des comportements économiques. On a donc pendant un temps considérable construit des théories économiques sur des exogènes qui auraient dû être endogénéisées.
L’observation montre aussi que la confiance est à la fois difficile et longue à instaurer, alors qu’à l’inverse elle peut être à la fois aisée et rapide à disparaître. De la défiance peut même apparaitre en substitution, et très soudainement, pour des raisons peu fondées : c’est un effet de la « société de l’information », où cette information devient de plus en plus « invérifiable », donc plus aisément falsifiable. D’où la redoutable efficacité de ces comportements négatifs en matière de destruction à CT des économies.
Très schématiquement, on est passé des clivages Est-Ouest et Nord-Sud à un libéralisme mondial acharné, et même organisé (OMC). Une solution paraît (logiquement) s’imposer : concertation et interventionnisme au niveau international. Il est évident que, tant que des intérêts contraires importants existeront, une telle solution ne pourra devenir visible que dans un avenir lointain.
5. L’absurdité des idéologies
Les grandes idéologies classiques
(aujourd’hui probablement dépassées) ont longtemps (depuis le XIXème
surtout) entretenu entre elles divers débats, notamment autour du partage
salaires - profits (ou, pour parler comme les CN, du partage entre
revenus du travail et revenu du capital).
Or, on ne peut manquer d’être
surpris (même faussement) d’observer des évolutions orientées vers la notion de
bénéfice, et même de « lucre ». Ainsi, la logique des normes IAS /
IFRS (2005) adoptées par de nombreux groupes (et parmi les mondiaux les plus
puissants) conduit à une chaîne de calcul qui s’étend depuis le CA du groupe
jusqu’au bénéfice, ce qui peut paraître naturel ; mais cette chaîne se
poursuit par un calcul de la valeur de l’action par actionnaire ! Cette
logique est très clairement orientée « bénéfice maximum » en vue de
satisfaire l’actionnaire situé en bout de chaîne, l’actionnaire ultime.
Qui peut bien être ce
dernier ? On peut ici se référer au schéma de base (qui
semble toujours pertinent) :
(a) l’actionnaire
« intermédiaire » peut évidemment être une entreprise (hors groupe ou
en groupe), mais in fine, l’actionnaire ultime est toujours (en exceptant
peut-être l’Etat) une personne physique (voire même un ménage), qui peut donc
être (a) soit un actif, salarié (en France environ 90 % des actifs) ou non
salarié (10 %), soit un inactif (retraité). On peut, si l’on veut, distinguer
aussi entre actionnaires votant en AG et salariés détenteurs de SO de
l’entreprise, mais celà n’est pas essentiel à l’analyse ;
(b) cet actionnaire ultime est donc,
par essence, un salarié ou un retraité, et il perçoit des revenus
financiers ;
(c) par ailleurs, tous ces agents
consomment et épargnent (épargne qui rapporte aussi des revenus) (en incluant
l’amortissement de
Le reste du schéma est trop connu
pour être détaillé. Mais, à ce stade, il serait pertinent de disposer d’un
tableau tel que le suivant.
individus |
statut |
revenu du L |
revenu du K |
revenu de T |
total |
actifs |
occupés |
P |
S |
S |
RAO |
chômeurs |
N |
S |
P |
RAC |
|
inactifs |
retraités |
N |
S |
P |
RIR |
autres ? |
S |
S |
P |
RIA |
|
ensemble |
tous statuts |
984,5 (2) |
161,6 (3) |
total T (4) |
total |
Légende : L = travail, K = capital (ie propriété et entreprise), T = transferts, P = principal, S = secondaire, N = sans objet, nul ou négligeable (les cases a priori modales sont en gras)
(1) source : CN - TEE 2007
(base 2000, unité = 1 G€ courants), partie « ressources »
(2) D1 (rémunération des salariés),
(3) D4 (revenus de la propriété), (4) A compléter
Or, paradoxalement, un tel tableau
n’est pas publié en l’état par le Système statistique. De plus, il semble
difficile à remplir (!?!) avec les informations disponibles au niveau
du citoyen.
Il serait donc très intéressant -
et révélateur - de le quantifier complètement : nombre d’individus par
case, et ressources correspondantes. On note, dans ce tableau, la très forte
fréquence des revenus du capital (qui sont cependant a priori une source
secondaire), la forte fréquence des revenus de transferts (qui doivent a priori
constituer la source principale), et la faible fréquence des revenus du travail
(qui représentent pourtant la plus grande partie du revenu national).
L’idée est double :
(a) la rivalité (« lutte des
classes ») supposée entre bénéficiaires de revenus du capital et
bénéficiaires de revenus du travail « recouvre » en partie (mais dans
quelle mesure ?) les mêmes individus (voire les mêmes
ménages, ou encore les mêmes « familles » lato sensu). Schizophrénie ?
Quelle donc est le poids de ce recouvrement ?
(b) actifs ou non, tous ces
individus consomment une part non négligeable de leurs revenus (totaux), ce qui
induit la production et la distribution de revenus, etc. Il existe donc une
« solidarité économique », des « intérêts
communs », qui devraient inciter à éviter de « casser » la
machine économique sous sa forme actuelle.
Cette idée montre ainsi une absurdité
de situation ... puisque la rivalité dans le partage salaires-profits
doit être compatible avec cette nécessaire solidarité économique et sociale.
Seulement, d’une part tout le monde n’est pas nécessairement conscient de ces
liens et, d’autre part, ces comportements trahissent une forte préférence
individuelle pour le présent, qui paraît peu compatible avec les préoccupations
de développement durable (affichées d’ailleurs surtout au niveau de la classe
politique et de quelques groupes de pression).
6. L’incertitude croissante
des sociétés
On peut même préciser des
« sociétés avancées ». En effet, le tryptique
mondialisation-dérégulation-délocalisation, initié vers le milieu des
années 1980 par des organismes comme l’OMC, ont entraîné des mouvements
rapides et accélérés (par rapport aux périodes précédentes) de biens et
services (les plus aisés à déplacer), de capital (on peut ne pas être certain
de l’ordre avec le précédent s’il s’agit seulement de capital financier) et de
travail (
La création ou le renforcement
d’entités (politiques) multi-nationales (Europe étendue, G7-G8-G20, etc) pour
contrebalancer ces inconvénients n’ont pas, non plus, porté leurs fruits en
termes de régulation (à supposer que ce type de régulation ait alors un sens,
dans la mesure où c’est justement ce type de contraintes que la dérégulation
cherchait à relaxer). Un certain nombre de groupes industriels ou financiers
possède une « masse critique » (notamment par rapport à celles des
états politiques) qui est en effet de nature à engendrer le déséquilibre.
Partant, les anticipations
des agents non seulement sont devenues plus pessimistes, mais
aussi s’exercent de façon de plus en plus « réactive » :
cette dernière caractéristique fragilise encore plus les économies avancées en
ajoutant un facteur d’instabilité. Est-il possible de canaliser ce facteur ?
7. Les effets escomptés de la
mondialisation et les réalités
On peut admettre (ou supposer) que
les autorités mondiales, avec l’assentiment des Etats, souhaitaient un
développement harmonieux des échanges, assorti d’une accélération du
développement des pays les moins favorisés tout en maintenant (au moins) le
niveau de vie des autres pays. Or l’évolution historiquement observée a été
trop ample par rapport aux « possibilités » du système mondial
(et notamment développé), et elle a entraîné diverses perturbations : en
dépassant toutes les prévisions, elle a bouleversé le paysage économique et
humain, et mis des économies nationales hors du contrôle de leurs propres
puissances publiques. En simplifiant, on peut proposer le schéma d’évolution
suivant, dont le chiffrement est cependant très hypothétique :
|
situation ex ante |
évolutions 1975-2005 |
||
critères d’appréciation |
pays développés |
autres pays |
pays développés |
autres pays |
population (1) |
1 milliard |
6 milliards |
? |
? |
capital humain |
important |
faible |
↗ |
↗ |
productivité |
élevée |
faible |
↗ |
↗ |
niveau de revenu |
élevé |
faible |
= |
↗ |
niveau de patrimoine (2) |
élevé |
faible |
↗ |
↗ |
niveau de ressources naturelles (3) |
élevé |
faible |
↗ |
↗ |
taux de chômage |
relativement faible |
fort |
↗ |
↘ |
taux d’importation |
fort |
faible |
↗ |
↗ |
dépendance (4) |
forte |
assez forte |
↗ |
↗ |
Solvabilité |
forte |
faible |
= |
↗ |
(1) nombre d’habitants
(2) au sens marchand ...
(2) en distinguant énergies et
matières premières
(4) par rapport aux ressources provenant
du Sud (MP, etc), y compris Moyen Orient
8. Fonction et rémunération
des dirigeants
Si l’on accepte l’idée (morale) selon laquelle tout dirigeant d’entreprise ou de groupe ne devrait pas voir ses revenus dépasser un certain plafond, on ne peut que réprouver les abus observés depuis quelque temps et leur généralisation. Les plafonds de revenus en question peuvent être fixés en niveau absolu (par exemple, par une loi). Ils peuvent encore être déterminés relativement à la taille de l’entreprise ou du groupe (CA, effectif salarié, etc) : mais ce dernier choix paraît évidemment plus risqué car il tend à inciter le dirigeant à développer une mégalomanie du ... développement (de l’entreprise ou du groupe), développement qui est potentiellement générateur de déséquilibres futurs majeurs.
Cette idée d’un plafond de ressources peut aussi a priori s’appliquer à la classe politique, qu’il s’agisse d’élus nationaux ou locaux. Dans les pays « avancés », leur rémunération est censée être publique. En pratique, il est cependant difficile, voire impossible (par exemple pour des raisons juridiques de protection de la vie privée, qui peuvent d’ailleurs masquer des intentions politiques moins avouables), de connaître les revenus - niveaux et origines - perçus par les hommes politiques. Cette critique n’est cependant pas incompatible avec la possibilité de servir des rémunérations très élevées, calculables selon des règles publiques, en fonction des résultats obtenus consécutivement aux décisions politiques prises. La traditionnelle (mais souvent hypothétique) sanction politique encourue en cas de « mauvaise gestion », serait contrebalancée par une récompense des résultats acquis.
La grande question est ici celle de l’Autorité qui serait chargée de porter des jugements (nomination, pondération, étendue des pouvoirs, etc), dans la mesure où les appréciations porteraient sur des actions et des résultats mettant en jeu la « matière » économique et sociale.
L’idée morale précédente (carotte mais aussi bâton) est cependant susceptible de se fonder sur une base économique. On ne peut éviter de s’interroger sur ce que peut aujourd’hui être le rôle du chef d’entreprise (ou même de l’élu politique). Il me semble que celui-ci consiste, en pratique et en dernière analyse, à gérer un tryptique d’activités :
(a) le choix des
collaborateurs, ce qui implique qu’il doit être bon juge en matière
d’hommes ;
(b) la définition des
objectifs de l’entreprise ou du groupe (développement, partenariats
économique et commercial, extension d’actionnariat, etc) en vue de les faire
adopter en AG, ce qui suppose de bonnes capacités d’argumentation et de
persuasion (l’ « autorité » de la gouvernance);
(b) et surtout, un portefeuille
de relations « porteuses » (économiques, commerciales,
politiques), c’est-à-dire pouvant servir l’entreprise ou le groupe, à un titre
ou à un autre, en sorte de favoriser l’aboutissement des objectifs en question
(parfois confondus avec ceux personnels du dirigeant). On peut imaginer ici
divers moyens en vue de gérer ce portefeuille : promesse de développement
des relations économiques et commerciales précédentes, mais aussi, plus
prosaïquement, soirées au restaurant, parcours de golf, croisières en
Méditerranée, etc.
Or, ces trois types d’activités (ou
de « responsabilités entrepreneuriales ») relèvent de qualités
répandues parmi les salariés, et notamment les cadres de
l’entreprise : elles ne sont pas spécifiques d’une exception dirigeante,
et encore moins de dynasties dirigeantes, même si le droit de propriété sur
l’entreprise ou le groupe a longtemps (traditionnellement ?) attribué
l’exclusivité de la direction au propriétaire.
En effet, on peut apprécier l’habileté, l’intelligence, voire le génie, d’un dirigeant, ses capacités à choisir ses collaborateurs, ses capacités de travail (mais une journée ne comporte pas plus de 24 heures, et une année pas plus de 360 jours ), ses capacités à se positionner à la croisée de divers centres de décision (stratégiques). Mais on peut légitimement penser qu’il n’est pas admissible d’observer des revenus (directs) du travail dépasser certains seuils : à capacités bornées, prix bornés. Or, on a pu fréquemment observer des erreurs de gestion manifestes, qui ont pourtant été suivies de versements de ponts d’or aux dirigeants qui en étaient à l’origine, lors de leur « licenciement » ...
Cet argument justifie, d’un simple
point de vue économique (et non plus seulement moral), que le salaire versé aux
dirigeants soit plafonné. En outre, l’application de ce principe à l’ensemble
des cadres dirigeants de l’entreprise conforterait encore, sans compromettre
leur dynamisme, une sorte de principe d’équité (« à chacun selon ses
capacités », ces capacités étant, en tout état de cause, naturellement
bornées). Ce principe encouragerait ainsi ces mêmes cadres à accepter une
nouvelle attitude vis-à-vis de l’ « argent ».
Ce même principe s’appliquerait
donc, en particulier, aux entreprises bancaires (y compris les banques
centrales) et contribuerait à y assainir certaines mentalités. De même que des
comportements à la moralité douteuse peuvent avoir tendance à s’accentuer ou à
s’étendre, de même un cercle vertueux peut être créé à partir de principes
moraux simples et consensuels. La classe politique n’échapperait pas davantage
à cette règle, ce qui suppose aussi qu’elle ait la volonté et un intérêt
suffisant pour agir dans ce sens ...
Il ne s’agit donc pas d’une vue de
type communiste, dans laquelle toutes les rémunérations seraient fixées par l’autorité
centrale, ni d’une vue plus capitaliste où ces mêmes salaires seraient votés
par l’AG de l’entreprise ou du groupe [1].
9. Les dysfonctionnements des
marchés monétaires et financiers
Au vu de ce qui précède, l’analyse
des dysfonctionnements auxquels on s’intéresse ici paraît simple. Si des
marchés de ce type connaîssent des crises dans leur fonctionnement, c’est pour
des raisons qui tiennent aux divers aléas évoqués, et aussi pour des
raisons telles que les suivantes :
- mauvaise gestion ou
organisation. Malgré des contrôles apparemment nombreux, détaillés et
sévères, il semblerait que l’on ne puisse éliminer le « risque zéro »
dans les transactions : couverture insuffisante sur des opérations
risquées motivée par des réductions de coûts ; concentration excessive du
système mixte « banque - assurance », etc ;
- « retour » des
aléas économiques et sociaux sur la sphère financière, assorti le cas
échéant de mécanismes amplificateurs, notamment psychologiques (cf
anticipations et chaos). Ainsi, les difficultés économiques ou sociales
d’un gros groupe peuvent avoir pour conséquence des répercussions majeures sur
les organismes financiers gravitant autour de lui, ou sur ceux gravitant autour
de ses partenaires ;
- report des responsabilités.
Ainsi, l’impact des erreurs de gestion (technique, économique ou encore
sociale) d’une entreprise augmente le risque prêteur : si la banque peut
assumer, elle aura tendance à jouer la solidarité, sinon, un recours à l’action
publique peut être tenté (aides publiques au système bancaire). Dans tous les
cas, des reports massifs de charges d’un acteur vers un autre ont des
conséquences tout aussi massives pour le récipiendaire.
10. Conclusion
La preuve des assertions
précédentes serait sans doute à étayer davantage. Certaines facettes des
problèmes évoqués comportent des difficultés de fonds :
- le nombre important des
acteurs concernés (personnes physiques mais aussi Etats et organismes
internationaux) ;
- les insuffisances des
autorités de contrôle ou de tutelle, dont la vigilance a pu être mise
en défaut ;
- le principe de souveraineté
nationale, qui tend à limiter l’application locale des mesures de
correction nécessairement conçues à un niveau international (OMC, FMI, etc). La
parade serait dans les sanctions appliquées par les organismes internationaux
de tutelle bancaire, mais des états suffisamment influents peuvent contrecarrer
ces actions ;
- le caractère récurrent et durable
(peut-être endémique) des dysfonctionnements, dont les effets peuvent
aujourd’hui s’observer sur plusieurs années, principalement depuis l’apparition
des premiers effets massifs de la « mondialisation ».
Par ailleurs, un certain nombre de
principes appliqués dans divers domaines de l’activité humaine pourraient
(devraient) être transposés à l’activité économique et à l’activité
financière :
* principe de précaution :
dans quels cas l’appliquer au système financier (octroi de prêts, décisions
d’emprunt, placements et choix de portefeuille, arbitrage « fonds propres
- trésorerie ») ?
* principe de transparence :
jusqu’à quel point appliquer un tel principe (s’il s’avérait
réaliste) (opérations de type service public, pas aux autres) ?
* principe de traçabilité :
comme le précédent (sachant que ce principe doit aujourd’hui obligatoirement
être appliqué par les banques, même non assorti de publicité autre que
judiciaire).
[1] Et non pas son conseil d’administration, car la
composition de celui-ci pourrait compromettre cette règle...